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Ceux qui impressionnent
Que l’on soit clair : je suis très dubitatif sur ce que l’on nomme « le miracle grec ». Que la Grèce antique compte bon nombre de types qui nous ont pondu des raisonnements à couper le souffle, soit. Mais ce constat est à modérer. D’une part, ces gens avaient « les mains blanches » : dans certaines cités, plus de la moitié des habitants étaient des esclaves, et il est tout de suite plus facile de disserter sur le sens de la vie quand une tripotée de petites mains s’occupent à longueur de journée de vous gérer la logistique – et je passe sur le statut des femmes. D’autre part, on retient surtout les éclairs de génie, genre Démocrite qui déduit l’existence des atomes du seul raisonnement (il ne disposait pas de microscope à balayage électronique), mais on omet la quantité d’âneries qu’ils ont proférées, et il y en a eu (cf. à ce sujet l’excellent ouvrage Je pense donc je me trompe [1] ; vous verrez Newton d’un autre œil). Sur Aristote, juste une anecdote : il a toujours été persuadé que les femmes avaient moins de dents que les hommes. Or il a été marié trois fois et n’a jamais eu l’idée de vérifier lui-même !
En revanche, quand on parle d’Alan Turing, là, c’est une autre histoire. Sans sa fin tragique, on se demande bien ce qu’il aurait fait du reste de son existence – entendre par là, en plus d’avoir permis aux Alliés de gagner plus rapidement la guerre en cassant le code d’Enigma et d’avoir posé les fondements de l’informatique, excusez du peu. En informatique, domaine où les mois valent des années et où toute prévision au-delà de la décennie relève de l’incantatoire, Turing a dès 1936 (il y a plus de 80 ans) imaginé le test qui porte son nom et qui sert d’étalon pour juger de l’avancée de l’IA, test superbement mis en images en 1982 dans Blade Runner, où Harrison Ford utilise le « test de Voight-Kampff » pour déterminer si Rachel est ou non une « réplicante ».
Récemment je suis tombé [2] sur l’analyse d’un article de Turing, dans lequel il calculait à quelle date approximative l’IA commencerait de surpasser l’homme dans certains domaines, le tout en se basant sur la connaissance (de l’époque) du nombre approximatif de neurones dans le cerveau humain et en extrapolant sur la taille approximative du programme capable de réussir le test de Turing.
À titre personnel, j’avoue un gros faible pour Cantor et ses travaux sur l’infini. Que l’infini existe a posé nombre de problèmes aux matheux de tout poil pendant 2 000 ans. Mais qu’il y ait plusieurs infinis, voire une infinité d’infinis de cardinal différent et croissant, nous fait un peu bizarre. Ne vous penchez pas trop longtemps sur le sujet, Cantor a terminé ses jours dans un état psychiatrique difficile.
Dans un autre registre, 01net titrait récemment [3] sur « Sept femmes qui ont façonné l’Histoire numérique ». Il y a des domaines où l’absence d’automatisation a fait que, pendant longtemps, une bonne partie du travail nécessitait une petite armée de petites mains pour réaliser des tâches ingrates, répétitives, sous-payées et peu considérées. Bill Bryson en fait état dans Une histoire de tout, ou presquepour le domaine de l’astronomie : avant l’irruption des ordinateurs, il fallait une grosse quantité de personnels pour classer les clichés, mesurer les tailles des objets photographiés, consigner ces mesures dans des registres, etc. La plupart de ces « petites mains » étaient des femmes et, de fait, une bonne partie des découvertes attribuées à des hommes célèbres… devrait revenir à des femmes. Idem pour l’informatique des débuts : il n’est de secret pour personne que le premier programmeur est une programmeuse, en l’occurrence la comtesse Ada Lovelace. Dans la liste des personnages féminins cités dans l’article, on trouve des femmes « hautes en couleur » dans le genre de Hedy Lamarr, mais aussi une brochette de femmes dont plus personne ne se souvient et surtout pas les informaticiens eux-mêmes : Joan Clarke, Margaret Hamilton, etc. L’article vaut le détour, et pas seulement pour la culture personnelle.
Souriez, c’était le 8 mars, il y a peu !
[1] Je pense donc je me trompe, Jean-Pierre Lentin, Albin Michel,1994.
[2] La Formule du savoir, Lê Nguyên Hoang, EDP Sciences, 2018.
[3] https://www.01net.com/actualites/sept-femmes-qui-ont-faconne-l-histoire-numerique-1648282.html
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